Je ne suis pas ce qu'on appelle un enfant de chœur. Certes, il fut un temps où j'allais à l'église en compagnie de mes parents, mais les nombreux pêchés qui me venaient à l'esprit suite aux sermons du prêtre les firent désespérer. Je n'ai jamais été sage. La sagesse, c'est pour ceux qui arrivent en fin de vie, ceux qui ont déjà expérimenté, qui ont vécu de quoi occuper leur songes pour leurs derniers jours. La mort est loin derrière moi et n'est pas prête de me rattraper, alors j'expérimente, je repousse les moindres limites que l'on tente de m'imposer, contrecarre la morale que l'on tente de m'insuffler. Je ne suis pas comme ça. Ma vie est à mon effigie : je-m’en-foutiste, libertine, narcissique. Je m'aime, et j'aime que l'on m'aime. Ceux qui pensent le contraire ne sont que des aveugles, jaloux de l'argent qui pollue mon compte bancaire. Ma liberté les fait rougir, de colère ou d'envie, qu'importe. Je ne veux pas qu'on m’enchaîne. Je préfère la mort aux menottes, aux barreaux. Je sais que si d'aventure l'une de mes expéditions à Whore's House me met sur la route de la justice, cette fiole dans la poche intérieure de ma veste de luxe me permettra de fuir bien loin. La mort ne m'attrapera jamais d'elle même, car je suis le maître de mon destin.

Question physique, je ne suis pas en reste. Brun, yeux bleus, charismatique, j'use de mon charme pour parvenir à mes fins. Je ne suis peut-être pas grand pour un homme, ce qui serait hélas mon seul défaut physique. 1m70 dans ce monde de brutes, il y a de quoi chercher à prendre le dessus sur ma personne. C'est sans compter mon caractère exécrable qui aura vite fait de vous ôter ces envies insipides. Je m'habille avec des habits de marque, privilégiant ce qui me met en valeur au prix indiqué sur l'étiquette. Puisque ma prestance est la première chose que l'on voit, autant que je la cultive.

J'ai vécu une enfance paisible. Enfin, autant que peut l'être une enfance avec des parents roulant sur l'or et pratiquants. Des dimanches à l'église, des prières à chaque début de repas et le soir avant de se coucher... Mon père était un despote, ma mère simplement bigote. Elle était faible. Faible, chrétienne, c'est la même chose. Le cliché certain de la femme au foyer, s'occupant de sa maison, de ses petits plats, de l'éducation, et déléguant l'autorité à son très cher mari. Mari qui se faisait un plaisir d'éduquer, plaisir pervers, plaisir masochiste. Peut-être lui donnais-je du fil à retordre. Peut-être était-je simplement trop turbulent à ses yeux, trop imparfait, trop peu docile. Je cherchais à m'éloigner la plupart du temps. Je passais du temps au terrain de jeu, chez les copains à faire des bêtises d'enfants, lui faisant oublier ma présence. Parce que ma présence le mettait en colère, ce salaud. Ma présence le rendait furieux, furieux au point de jouer de la ceinture et du placard. Ah, terrible épreuve qu'était le placard. Enfermé des heures durant, avec pour simple occupation ce crucifix à la main. Ce crucifix qui me brûlait, me révoltait, me donnait envie de tout casser, car Il ne m'aidait pas dans cette épreuve, me rendant plus impuissant et terrorisé qu'un gamin de cinq ans.

Lorsque la majorité vint, mon père mourut soudainement. La presse n'ébruita pas l'affaire malgré la fortune colossale et l'ampleur des changements que cela allait occasionner. Mes pots de vin, sans doute. Ma mère, trop effrayée d'être laissée en roue libre, se réfugia dans notre maison de campagne avec sa soeur, me laissant seul à la capital. Seul, et libéré de toutes entraves, autant dire que je vivais ma vie comme je l'entendais. Des fêtes (ou plutôt orgies, soyons réalistes) furent organisées par mes soins. Je devins une célébrité à part entière dans Paris, connu pour sa décadence et mon porte-monnaie bien garni. Ainsi, quand cela fut de trop pour les idéalistes, on me choppa et on m'envoya derrière les barreaux le temps d'une nuit. Pour me faire passer l'envie. M'entrer la loi dans la tête. Cela eut un résultat mitigé.

Je continue les festins sans le côté libertin. Du moins, pas le côté visible. On voit mes fêtes comme un vieux speed-sex-dating. On rencontre, on séduit, puis on va conclure ailleurs. Tel est le but. Et cela marche bien. Pour ma part, ce côté aristo-bourgeois ne me plaît pas. Je préfère la boue au caviar, les délurés aux coincés. Je préfère les maisons closes. Je n'organise plus l'illégalité, je viens à elle avec un plaisir évident. Nul doute que si je me faisais attraper une seconde fois, mon sort serait définitif. Je reste prudent, mais cette maison m'appelle, et je cède avec une facilité affriolante.